L’histoire des quartiers nord de Marseille est marquée par une évolution significative au fil des siècles, passant d’une zone agricole à une zone urbaine densément peuplée.
L’industrialisation de Marseille au XXe siècle a effectivement entraîné des changements avec l’installation d’usines et la construction de logements pour les ouvriers.
Dans les années 1950 de nombreuses familles se retrouvent dans des bidonvilles, des squats ou à la rue.
Le besoin de construction de grands ensembles à partir des années 1950 est lié à la crise du logement et à l’arrivée massive de populations issues de l’empire colonial français (1955 des fonctionnaires coloniaux, des familles italiennes, maltaises et espagnoles du Maroc et de Tunisie et 1962 rapatriés d’Algérie).
Les rapatriés d’Algérie ont bénéficié d’aides spécifiques, comme par exemple en 1959 la cité du petit séminaire, qui leur ont permis de se loger et plus tard de quitter les logements ce qui n’est pas le cas des travailleurs immigrés.
Un grand nombre de copropriétés ont été construites c’est le cas de Corot, de Kalliste et de Frais Vallon. Dans les années 1970, à cause l’augmentation des taxes et charges de copropriétés les pieds noirs sont partis pour s’installer dans les quartiers sud, à Vitrolles et à Marignane. Certains propriétaires louent leurs appartements à une population immigrée qui a du mal à se loger. Certains n’hésitent pas à devenir « marchands de sommeil » louant plus chers à des familles « sans-papiers ».
Les bidonvilles de Marseille ont été marqués par une forte concentration de populations immigrées, principalement algérienne, venues pour participer à la reconstruction économique de la France après la Seconde Guerre mondiale. Ces travailleurs, souvent jeunes, vivent dans des conditions extrêmement précaires, dans des habitations faites de matériaux de récupération, sans accès à l’eau courante, à l’électricité ou à des équipements sanitaires.
Les femmes viennent les rejoindre avec des enfants en bas âge. De nombreux enfants vont naitre dans ces bidonvilles, les familles s’entassaient dans ses constructions de fortune. Les conditions de vie difficiles et l’absence de services publics aggravent encore plus leurs situations. Ces espaces sont caractérisés par des conditions de vie précaires et l’absence de statut légal d’occupation.
Le traitement de ces bidonvilles par les pouvoirs publics s’est inscrit dans une logique hygiéniste visant à améliorer les conditions de vie jugées insalubres. Et de contrôle social perçus comme des lieux potentiellement dangereux dans un contexte colonial et décolonial.
Les principaux bidonvilles :
Campagne Fenouil s’est implantée sur les terrains en friche laissés par une tuilerie-briqueterie à l’Estaque en 1958. On y retrouve majoritairement des « Gitans » rapatriés du Maroc et de Tunisie.
Arénas on y retrouve des travailleurs indochinois, des Juifs du Maghreb et d’Europe centrale.
Chieusse il y a des ouvriers algériens venant majoritairement de Kabylie, qui travaillent dans les usines de tuileries. Les baraques ont été fabriquées avec des planches, des tuiles et des tôles récupérées dans les usines.
Sainte Marthe : les terrains sont la propriété de la SNCF et ont accueillis des soldats algériens démobilisés à la fin de la seconde guerre mondiale.
Campagne Picon abritaient majoritairement des Algériens, des Tunisiens, des Italiens et des Gitans.
La Calade environ 2 000 personnes vivaient dans ce bidonville, principalement des travailleurs immigrés et leurs familles originaires du Maghreb et notamment d’Algérie
Le bidonville de la Corderie est composé de baraquements et de maisons en dans un terrain désaffecté.
La Paternelle
En 1959, les habitants du bidonville de la Corderie, ainsi que ceux d’autres bidonvilles comme Campagne Picon, furent délogés et transportés dans des camions militaires. Ces familles furent ensuite relogées dans des cités sommairement construites, comme la Cité Paternelle. Ces logements étaient souvent inadaptés aux familles nombreuses qui y vivaient, avec des surfaces réduites et des équipements insuffisants.
La politique de résorption de bidonvilles va se mettre en place. L’accès aux logements sociaux se fait dans un cadre raciste et paternaliste. Des familles passent du bidonville aux cités de transits ou cité provisoire. L’accès aux logements sociaux va se faire progressivement.
Les cités de transit
Les cités de transit sont conçues comme une solution temporaire, elles ont servi d’étape intermédiaire entre les bidonvilles et les logements sociaux. Bien que conçues avec des intentions « d’insertion sociale et d’éducation au logement » les cités de transit ont finalement contribué à perpétuer des formes de ségrégation spatiale et sociale, illustrant les limites d’une approche paternaliste de la gestion de l’immigration.
Les HLM ont été conçus pour offrir des logements décents aux populations ouvrières et défavorisées issues des bidonvilles et des cités de transit.
La localisation des HLM dans les quartiers périphériques a contribué à une ségrégation urbaine marquée entre le nord (populations défavorisées) et le sud (plus favorisé) de Marseille.
Si la construction massive de logements sociaux dans les quartiers Nord a permis de répondre à l’urgence du logement dans l’après-guerre, elle a aussi engendré des défis structurels durables en termes d’inégalités sociales et spatiales à Marseille.
Carte des bidonvilles "journal la provence sept 1973"
Document INA 27 févr 1975 bidonville
Résumé
Le président de la République Valéry Giscard d’Estaing a choisi de venir à Marseille pour marquer l’intérêt qu’il porte à la question des travailleurs immigrés. Accueilli par Gaston Defferre, maire de la ville et accompagné par Paul Dijoud, secrétaire d’État à l’Immigration, il a notamment visité le bidonville Michel dans le quartier de Saint-Henri, bidonville habité par des travailleurs nord-africains et promis à une prochaine destruction.
Éclairage
Contexte historique
Par Jean-Marie Guillon
Le 27 février 1975, Valéry Giscard d’Estaing, président de la République, fait une visite surprise à Marseille. Débarqué à 10 h 30 à Marignane, il se rend dans les quartiers Nord en compagnie de Gaston Defferre et de Paul Dijoud, secrétaire d’État près du ministre du Travail chargé de l’immigration, d’abord dans une école de filles, puis à la cité de transit La Paternelle (Sainte-Marthe), dans le bidonville Michel (Saint-Henri) et enfin dans un centre d’apprentissage, avant de gagner l’Hôtel de ville.
Cette visite, qui répond à plusieurs objectifs, est importante. Elle s’inscrit dans le cadre de la politique de réformes et de décrispation qui a inauguré le mandat de Valéry Giscard d’Estaing depuis son élection en mai 1974. C’est alors que le secrétariat d’État chargé de l’immigration a été créé. Confiée d’abord à André Postel-Vinay, qui en a démissionné faute de moyens pour sa politique de logement, cette charge a été passée en juillet au républicain indépendant Paul Dijoud, un fidèle du président, signe de l’intérêt que celui-ci portait à la question. D’ailleurs, Dijoud paraissait avoir obtenu les financements que Jacques Chirac, chef du gouvernement, avait refusés à son prédécesseur. La question de l’intégration des travailleurs immigrés, appelés en masse depuis plus de vingt ans pour faire face au besoin de main d’œuvre de l’industrie et du bâtiment, passait au premier plan, alors que le conseil des ministres décidait, dans le même temps, l’arrêt de l’immigration. La crise économique, qui avait démarré en 1973, et les réactions contradictoires dans l’opinion que suscitait la présence des étrangers servaient de justification à cette mesure. L’inflexion politique était sensible. L’illusion d’une immigration temporaire faisait long feu. Il fallait se préoccuper de l’implantation définitive des immigrés en France, d’où la nécessité d’améliorer leurs conditions de vie. Cette politique suscitait des réticences dans la majorité. Elle avait un pendant répressif mis en œuvre par Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, lui aussi très proche du président. Cependant elle était marquée par des gestes symboliques dont le plus spectaculaire avait été l’invitation d’éboueurs africains à l’Élysée en décembre 1974. La visite marseillaise, avec le passage au bidonville Michel, s’inscrit dans cette ligne.
Le choix de Marseille pour cette journée consacrée au problème des travailleurs immigrés et de leur insertion n’est pas fortuit. Le fait que Paul Dijoud soit un élu des Hautes-Alpes - ancien député, il était maire de Briançon depuis 1971 - a pu jouer, de même que sa volonté d’ouverture (d’autant que le soutien d’une partie de l’opposition lui sera nécessaire pour conduire sa politique). Cette ligne est soutenue par le président de la République. Il tente ici une opération de séduction envers un socialiste connu pour sa modération et qui intègre dans sa majorité pour quelque temps encore des élus de droite (dont Jean-Claude Gaudin). Gaston Defferre, bien évidemment mis dans la confidence de cette visite (au grand dam des communistes, première force politique de la ville et alliés officiels du PS sur le plan national), accompagne le président avant de le recevoir à l’Hôtel de ville où il prend la parole pour réclamer l’ouverture de négociations avec les pays d’où sont originaires les immigrés. Valéry Giscard d’Estaing, qui recevra les consuls de ces pays, entend en effet préparer le voyage officiel qu’il doit faire en Algérie au cours duquel le problème de l’immigration doit être abordé. La question est d’autant plus sensible que Marseille a été l’un des théâtres principaux de la vague d’attentats racistes qui ont eu lieu depuis deux ans (voir L’appel au calme de Mgr Etchegaray, évêque de Marseille et Attentat contre le consulat d’Algérie). Ces crimes, restés pour la plupart impunis, avaient justifié la suspension de l’émigration ordonnée par l’Algérie le 19 septembre 1973.
Les Algériens constituaient le principal groupe d’immigrés, par ailleurs étroitement contrôlé par l’Amicale des Algériens, qui était l’émanation des autorités d’Alger. On en compte à Marseille en 1975 35 000 pour 6 200 Tunisiens et 2 700 Marocains. Il s’agit d’une immigration du travail, ouvrière et masculine à 58 %. Cependant, plus tôt qu’ailleurs, certains de ces hommes ont pu faire venir leur famille, ce qui rajeunit cette population qui, pour près de 40 %, a moins de vingt ans. Elle compose depuis les années soixante la majeure partie des habitants des bidonvilles que, depuis la fin des années cinquante, la municipalité s’emploie peu à peu à résorber. Il en subsiste encore plus d’une vingtaine au début des années 1970 contre plus de trente dix ans plus tôt. La grande concentration de Saint-Barthélemy a été éliminée. Le bidonville des Goudes a été détruit en 1973, celui de la campagne Colgate, près des Baumettes, en 1974 et celui que parcourt le président doit être rasé en 1976. Mais la cité de transit La Paternelle, qu’il visite aussi, construite entre 1958 et 1962 avec pour objectif de reloger les habitants de divers bidonvilles des quartiers Sud et Nord, s’est dégradée au point de se bidonvilliser à son tour. Pour faire face au problème, il faut donc des moyens et une politique globale. C’est ce qu’entend apporter Paul Dijoud avec les contrats d’agglomération qui sont signés à partir de novembre 1975 avec certaines collectivités locales. Celui de Marseille est l’un des plus importants. Moyennant l’engagement de la municipalité de favoriser une meilleure répartition des logements, il prévoit un programme de déconcentration de 3 000 logements HLM destinés à des familles et 2 000 places en foyers pour des travailleurs isolés pour un montant de 295 millions. Il intègre, en même temps, des initiatives sociales et culturelles, touchant à l’accueil, à l’adaptation linguistique (avec l’ouverture de classes d’initiation), à la formation, à l’aide aux nomades. L’une des réalisations les plus significatives issues de ce contrat sera l’ouverture en 1976 de la Maison de l’étranger, face à la gare Saint-Charles, dans les anciens locaux d’Air France, pour regrouper toutes les antennes administratives nécessaires à l’accueil des migrants (elle s’ouvrira ensuite à l’action culturelle en devenant une sorte de "Maison des cultures du monde"). Il faudra la volonté politique de Gaston Defferre pour que ce contrat d’agglomération soit adopté en dépit des réticences de sa majorité. Mais la politique de Paul Dijoud rencontrera elle aussi bien des obstacles. Neuf contrats d’agglomération seront signés. Outre celui de Marseille, un autre concerne la région, conclu avec le département des Alpes-Maritimes. Il aura pour conséquence la destruction du grand bidonville de La Digue des Français à Nice en mars 1976. Paul Dijoud dira que c’est en le visitant et en parlant avec ses habitants en avril 1975 qu’il a pris la décision de mener une véritable politique d’aide au retour. Celle-ci se voulait le pendant du droit d’installation et d’assimilation, dont les effets majeurs seront la réforme du Code de la nationalité permettant aux naturalisés d’accéder aux emplois publics et aux mandats électifs et le droit à l’immigration familiale. Cependant cette politique sera remise en question à partir de 1977, après l’échec de la majorité aux élections municipales et le choix de revenir à une orientation plus conforme aux sentiments de son électorat.
Bibliographie :
Abdelmalek Sayad, Jean-Jacques Jordi et Émile Témime, Migrance. Histoire des migrations à Marseille, tome 4, Aix-en-Provence, Édisud, 1991.
Ralph Schor, Histoire de l’immigration en France de la fin du XIXe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, 1996.
Patrick Weil, La France et ses étrangers, Paris, rééd. Gallimard-Folio, 1995.