La publication du rapport sur les « Frères musulmans et l’islamisme politique en France » par le ministère de l’Intérieur, le 21 mai 2025, s’inscrit dans une stratégie politique visant à façonner la perception d’un « ennemi intérieur » au sein de la société française. Cette démarche, initiée par une commande explicite du ministre Gérald Darmanin et discutée au sommet de l’État, s’insère dans un contexte où l’islamisme est érigé en priorité du débat public.
Ce rapport, élaboré par un groupe de hauts fonctionnaires missionnés en avril 2024, se présente moins comme un outil d’analyse objective que comme une réponse politique à des préoccupations sécuritaires et identitaires. Il s’inscrit dans la continuité des lois sur la sécurité intérieure et le séparatisme, et vise avant tout à légitimer un durcissement des politiques publiques à l’égard de l’islam et des musulmans.
Plusieurs chercheurs et experts ont refusé de participer à l’élaboration du rapport, dénonçant une démarche orientée et des conclusions déjà fixées à l’avance. L’utilisation sélective de sources, l’absence de pluralisme dans les analyses et la volonté manifeste de désigner un « ennemi intérieur » fragilisent la crédibilité scientifique de l’ensemble. Le rapport compile des éléments largement connus sur les Frères musulmans et la Fédération Musulmane de France (ex-UOIF), mais opère un glissement dangereux entre constat concret et recommandations alarmistes.
La focalisation sur le risque d’« entrisme » des Frères musulmans, leur supposée volonté d’infiltrer la société française, notamment à l’échelle municipale, s’inscrit dans une logique de suspicion généralisée. Cette rhétorique rappelle les mythes conspirationnistes du XIXe siècle, où l’on accusait des groupes secrets de vouloir subvertir l’État. Ainsi, toute visibilité musulmane dans l’espace public devient suspecte, renforçant un climat de défiance et de stigmatisation.
La Fédération Musulmane de France, pourtant institution partenaire de l’État et fondatrice du Conseil Français du Culte Musulman, se voit ainsi assimilée à une menace. Cette lecture contribue à délégitimer toute réussite ou engagement citoyen des musulmans, désormais perçus comme potentiellement subversifs. Il ne s’agit plus d’analyser la diversité interne de l’islam français, mais de désigner un bouc émissaire commode pour répondre à des angoisses collectives.
Ce rapport illustre les dérives d’une approche sécuritaire et idéologique de la « question musulmane » en France. Loin d’être un simple outil d’analyse, il devient un levier politique pour justifier des mesures restrictives et alimenter la peur. Or, la lutte contre l’islamisme radical ne saurait se faire au prix de l’amalgame, de la stigmatisation ou de la disqualification de citoyens engagés. Seule une approche fondée sur le pluralisme, la rigueur scientifique et le dialogue permettra de préserver la cohésion sociale et les principes républicains.
La publication de ce rapport s’inscrit dans une stratégie politique de création d’un « ennemi intérieur » musulman, instrumentalisant la question sécuritaire pour justifier des politiques de suspicion et de restriction, au détriment de la démocratie.