Intro

Nous étions « expulsables »

Dans les années 1950-1960, de nombreux jeunes nés en France, souvent appelés "enfants d’immigrés" ou "seconde génération", se sont retrouvés dans une situation juridique complexe après les indépendances des pays d’origine de leurs familles.

Bien que nés sur le sol français, ils ont souvent dû entreprendre des démarches pour obtenir une carte de séjour, comme tout autre immigré. Cette situation a généré une grande anxiété, amplifiée par les délais administratifs prolongés et la complexité des procédures. Pendant ces périodes d’attente, certains ont risqué de se retrouver sans papiers.

La double peine et ses conséquences

La pratique de la double peine a particulièrement touché ces jeunes issus de l’immigration postcoloniale. Elle consistait à expulser définitivement du territoire français des personnes ayant purgé une peine de prison. Les conséquences étaient dramatiques : ces jeunes, souvent arrivés très tôt en France ou même nés sur le territoire, étaient séparés de leurs familles et envoyés dans des pays qu’ils connaissaient peu ou pas du tout. Certains ont réussi à revenir, mais d’autres ont été contraints de rester éloignés de leurs proches. La situation s’est aggravée avec la loi Bonnet de 1980, qui a élargi les possibilités d’expulsion et de refoulement des étrangers.

Les initiatives pour lutter contre la double peine

Face à cette injustice, plusieurs initiatives ont vu le jour :

  • La Maison des Travailleurs Immigrés (MTI), fondée en 1973 à Marseille, a offert un soutien juridique et administratif aux immigrés.
  • Le 7 juin 1980, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes françaises (Paris, Strasbourg, Bordeaux, Marseille) pour dénoncer la politique migratoire du gouvernement. Elles étaient organisées par soixante-dix associations antiracistes, religieuses et familiales ainsi que par des syndicats et partis politiques tels que la CGT, la CFDT, le PCF et le PSU.
  • Des figures religieuses comme François Lefort, Christian Delorme et Jean Costil se sont mobilisées contre les expulsions. Le 2 avril 1981, une grève de la faim menée par Christian Delorme, Jean Costil et Ahmed Boukhrouma à Lyon a dénoncé les expulsions et la double peine.
  • Des collectifs de jeunes se sont formés pour lutter contre les inégalités. Par exemple, le mouvement Rock Against Police dénonçait les violences policières et les expulsions.
  • Des associations comme le Comité national contre la double peine et l’ASEF (Association de soutien aux expulsés et à leur famille) ont été créées pour combattre cette pratique.

Les changements sous François Mitterrand en 1981 :

  • La régularisation de 130 000 étrangers en situation irrégulière.
  • La facilitation du regroupement familial.
  • La suppression de la loi Bonnet et de l’aide au retour.

La loi du 27 octobre 1981 a également introduit des "catégories protégées" contre l’expulsion, incluant notamment les mineurs et ceux arrivés avant l’âge de dix ans. Cependant, malgré ces avancées, la double peine a continué d’affecter nombre de jeunes issus de l’immigration bien après 1990.

Remises en cause et durcissements ultérieurs

À partir de 1984, certaines dispositions favorables ont été partiellement remises en cause sous la pression des syndicats policiers : les expulsions pour "récidive" des "délinquants d’habitude" ont été autorisées. En 1986, sous le gouvernement dirigé par Charles Pasqua, les expulsions se sont intensifiées, visant notamment les jeunes Algériens jugés "oisifs". Cette année-là, Djida Tazdaït et Nacer Zaïr ont mené une grève de la faim pour défendre le maintien des catégories protégées contre l’expulsion.

En réponse à ces durcissements, la loi Joxe du 2 août 1989 a rétabli certaines protections contre l’expulsion. Au début des années 1990, des jeunes touchés par la double peine se sont organisés pour créer le Comité national contre la double peine, poursuivant leur lutte contre cette discrimination institutionnelle flagrante.

La génération des années 1980 pose cependant les bases des luttes contre les centres de rétention et les discriminations systémiques.

Mise à jour :mardi 6 mai 2025
| Mentions légales | Plan du site | RSS 2.0